Rappelons d’abord que la présidence du Conseil est assurée à tour de rôle par chaque État membre pour une période de six mois. En présidant toutes les réunions au sein du Conseil durant cette période, l’Etat membre, à qui échoit la présidence, assure la continuité des travaux de l’Union européenne, mais le pays en charge de la présidence joue essentiellement un rôle de coordination dont il convient de ne pas exagérer l’importance.
On remarquera qu’il y a, dans cette coordination, une exception notable puisque le pays qui accède à la présidence tournante préside toutes les réunions sauf les sessions du Conseil des affaires étrangères, qui sont présidées par le Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité.
On comprend sans mal que l’idée est que la présidence tournante, parce qu’elle ne dure que six mois, ne saurait gêner ni celui ou celle qui préside la Commission ni le Haut Représentant qui jouissent tous les deux d’un mandat de cinq ans.
Cependant à l’intérieur de ce cadre contraint, un Etat membre qui n’appartient pas au groupe des Etats fondateurs peut espérer gagner en visibilité et surtout mesurer son crédit auprès de ses pairs dans un exercice d’image et de communication qui peut lui être très bénéfique. Enfin c’est également l’occasion pour lui d’exercer ou d’affirmer son autorité morale. La Pologne ne manquera pas de saisir cette chance.
En effet, depuis le 1er janvier 2025, la Pologne assure la Présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. C’est la deuxième fois que le pays occupe cette fonction, après une première présidence en 2011. Cette fois, les circonstances sont en tout point exceptionnelles pour la Pologne pour plusieurs raisons.
La première tient au fait que le pays est actuellement dirigé par un premier ministre qui a occupé des fonctions importantes à Bruxelles où il a laissé un bon souvenir ; il se trouve être un connaisseur expérimenté des rouages communautaires et de surcroît, depuis son retour aux affaires, il fait preuve du plus grand pragmatisme à l’égard des projets communautaires.
La deuxième raison réside dans le fait que la Pologne peut afficher aujourd’hui un excellent bilan après vingt ans d’appartenance à l’UE : le spectaculaire redressement économique de la Pologne, fruit de cet immense effort accompli par les Polonais pour rebâtir leur économie et leur démocratie, parle en sa faveur de même que l’excellent usage qu’elle a fait des fonds européens pour conduire à ce succès.
Enfin il y a une troisième et dernière raison, importante mais inquiétante, qui réside dans le contexte international très tendu dans lequel nous sommes : la Pologne, par son histoire et sa géographie, se trouve être le pays le mieux placé pour expliquer aux Européens la dure nécessité de consentir à un effort accru en faveur de leur sécurité. La Pologne se fera d’autant mieux entendre qu’au même moment la France et l’Allemagne sont devenues inaudibles, engluées qu’elles sont dans les difficultés politiques et économiques qui leur sont propres.
C’est donc tout naturellement que la présidence polonaise met aujourd’hui l’accent sur le renforcement de toutes les dimensions de la sécurité européenne, comme l’a dit sans détour le Premier ministre polonais Donald TUSK aux députés européens, à Strasbourg le 22 janvier dernier, dans son discours inaugural, insistant sur :
- la défense de notre sécurité et la défense de nos frontières contre les agresseurs et l’immigration illégale
- la résistance à l’ingérence étrangère et à la désinformation
- la protection de la liberté d’entreprendre
- la sécurité énergétique
- la sécurité alimentaire et la défense d’une agriculture compétitive
- la sécurité sanitaire
Dans ce discours qui a frappé les esprits, le premier ministre polonais n’a pas hésité à évoquer la crise spirituelle que traverse l’Europe, invitant à la surmonter, tout en se préparant à faire des sacrifices pour assurer la survie physique de l’Europe, le premier de ses sacrifices étant d’augmenter les dépenses de défense, comme la Pologne elle-même l’a fait en consacrant 5% de son PIB à l’armement. Le ton très direct et très personnel de ce discours qui ne prenait plus de précaution pour parler des dangers qui assaillent l’Europe aujourd’hui a surpris la plupart des interlocuteurs.
Le premier ministre a conjuré les députés de prendre conscience de la gravité du conflit à l’Est et du danger russe pour l’ensemble du continent, concluant que la devise de la présidence polonaise serait « Sécurité » , qu’il s’agisse de la sécurité extérieure face à la menace russe ou intérieure face à l’immigration illégale et au terrorisme; puis il a décliné toutes les formes de sécurité qu’il convenait d’assurer, qu’il s’agisse de la sécurité de l’information ou de la souveraineté énergétique ou alimentaire.
En écho au discours d’investiture du Président Donald TRUMP, il a martelé que l’Europe n’avait pas à rougir de tout ce qu’elle avait accompli, soulignant qu’elle avait autant de raisons d’être fière de son passé et de ses réalisations et qu’il fallait les défendre avec courage. De même il a fait appel au bon sens et enfin, citant Jean Paul II, il a invité les Européens à ne pas avoir peur.
Après ce discours qui rappelait en filigrane que nous étions en guerre et que l’avenir de l’Europe se jouait à l’Est, il faut conclure que la présidence polonaise utilisera les six mois à venir à œuvrer pour favoriser une prise de conscience chez ses pairs que chacun doit prendre sa part du coût de la sécurité européenne.
On peut penser aussi que la Pologne s’efforcera de défendre auprès de ses pairs l’idée de sécuriser la frontière Est par l’envoi de troupes européennes le long de la ligne de démarcation – si un compromis est trouvé avec la Russie pour interrompre le conflit – et seulement sous l’égide de l’Otan et avec l’appui américain. On peut s’attendre aussi à ce que la Pologne continue à défendre l’idée d’un moratoire sur le droit d’asile.
Enfin la présidence polonaise inaugure un « parler vrai » qui va faire toute son intérêt et toute son originalité.